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L’émocratie (ou plus exactement l’émotocratie = pouvoir de l’émotion) : ce néologisme signifie que le pouvoir politique utilise l’émotion pour s’imposer aux citoyens ou que, dans notre société, le discours social se construit à partir des émotions. Des exemples très récents dans la presse hebdomadaire nous montrent que pour vendre du “papier”, il faut faire appel aux émotions, pas à la raison.
Comment en est-on arrivé là? Au XIXe siècle, la presse écrite, libre et sans censure préalable, devient – de par l’augmentation de la lecture et du pouvoir d’achat – un produit “vendable” qui se doit de rencontrer le besoin de rêve, le désir de se transporter dans un monde lointain, de vivre par procuration des scènes violentes : on assiste à la naissance du journal populaire.
Et au XXe siècle, l’apparition de la TV, tout en modifiant les outils, ne change pas ce mécanisme. C’est d’abord l’Etat qui met en place la TV, installe le pluralisme et se donne aussi un rôle éducateur (pour R. Debray, il s’agirait plutôt aujourd’hui d’un rôle séducteur…).
Mais des changements apparaissent après 1970 : réinvestissements dans les télécommunications et dominance des consortiums privés entraînent la réapparition de la logique de la presse populaire. La TV “fenêtre” devient la TV “miroir”, la TV de “messages” devient la TV de “connivence, d’adhésion”. Et puis il y a eu ce petit appareil – la “zappette” – qui amena une réaction immédiate, le souci de fidéliser l’audience : en touchant les émotions, en rassemblant le maximum de téléspectateurs sur des sujets fédérateurs. Et rien de plus simple avec l’image qui est un véhicule très facile pour l’émotion, pas pour le raisonnement.
Il est évident que ce comportement influence l’exercice du pouvoir : lorsqu’une préoccupation est évoquée par les médias, elle devient une préoccupation pour les décideurs (et la TV reste le média dominant!). Les sujets choisis (même les sujets sociaux et économiques) le sont parce qu’ils ont un impact émotionnel : il y a une véritable distorsion entre la réalité et les faits traités : l’émocratie. L’attachement systématique aux chaînes commerciales finit par entraîner une aversion pour le politique en renforçant, surtout chez les personnes isolées, le sentiment d’insécurité et d’impuissance, l’individualisme, avec des effets pervers chez les plus faibles (réactions électorales de rejet).
Sans doute n’y a-t-il pas un “complot” de la part des médias, mais essentiellement la conquête et le maintien des parts de marché. La fin de la marchandisation des médias n’est certes pas pour demain, mais la situation n’est pas irrémédiable : sursauts des consommateurs, des producteurs, préoccupations des journalistes dont le capital intellectuel pourrait être mieux utilisé. Ne soyons pas pessimistes mais en attendant, la méfiance s’impose.
Conférence organisée en partenariat avec l’Extension de l’ULB de Dinant.